Leçon de journalisme

Leçon de journalisme

Faire le deuil des conditions idéales.

Au cours de ma carrière sportive, j’ai eu la chance d’observer en action plusieurs journalistes sportifs, de la presse écrite, de la radio et de la télé. Leur travail avait l’air exigeant, mais le « fun », avec une dose de défis, d’émotions et de créativité. Le choix de mon programme universitaire a été influencé par ces journalistes allumés rencontrés au fil des ans.

Une fois mes études complétées, j’avais une appréciation accrue pour le travail de ceux qui racontaient les résultats, les émotions, les histoires grandes et petites des athlètes de sports non professionnels. J’ai beaucoup appris en lisant et en voyant à l’œuvre Simon Drouin, Marc Durand, Jacinthe Taillon, Alain Bergeron, sans oublier ma coéquipière des Carabins Émilie Bouchard-Labonté, et bien d’autres.

La leçon de journalisme la plus marquante pour moi vient toutefois d’un journaliste australien, croisé rapidement dans la zone mixte aux Jeux du Commonwealth en 2014.

Ce soir-là, je remporte la médaille d’or du 200 mètres papillon. Troisième à l’issue des qualifications, j’ai en quelque sorte causé une surprise lors de la finale. Durant mon premier passage dans la zone mixte, un journaliste australien me pose plusieurs questions.

Pour aider à la compréhension de mon anecdote, je dois expliquer ce qu’est une zone mixte. Lors des grandes compétitions internationales, les athlètes, tout de suite après leur épreuve, doivent passer devant la zone réservée aux médias, appelée zone mixte. On retrouve dans une zone les caméras et journalistes des chaînes de télévision détenant des droits, puis la zone réservée aux médias de la presse écrite, de la radio, du web, etc.

Donc, j’ai nagé, gagné la course et fait l’entrevue télé avec Marc Durand. Il me reste maintenant à compléter la ronde d’entrevues avec les médias de la presse écrite et la radio. Je réponds aux questions de quelques journalistes canadiens. Dans le contexte de zone mixte, les journalistes posent des questions et l’athlète répond à tous en même temps. C’est pourquoi plusieurs journalistes rapportent souvent les mêmes citations. C’est en quelque sorte une conférence de presse en accélérer où tout le monde est debout, collé. C’est bruyant aussi, car d’autres athlètes parlent à des groupes de journalistes tout près. Ce n’est pas le meilleur contexte pour obtenir une histoire originale (car tous les collègues écoutent) ou faire une entrevue de fond (car tout le monde est debout et généralement un peu pressé).

Un visage qui m’est inconnu se tient tout près de la clôture, le bras bien tendu avec son enregistreur. Il a écouté mes réponses aux questions de ses collègues et me questionne à son tour sur ma performance, sur le fait que je suis plus âgée que mes adversaires et mes objectifs. Il semble soulagé que je ne sois pas pressée de sortir de la zone mixte. Il faut dire que, souvent, les athlètes doivent limiter leur temps dans la zone mixte puisqu’ils doivent aller faire leurs exercices de récupération. Ce n’est pas mon cas ce soir-là, puisque ma compétition est maintenant terminée. Je peux donc me permettre de prendre mon temps, surtout que j’aime ça faire des entrevues…

Après la remise des médailles, je passe à nouveau par la zone mixte. C’est généralement plus tranquille que tout de suite après la course, mais c’est parfois le moment pour les médias de poser quelques questions supplémentaires. Et c’est ce que fait le journaliste australien Malcom Knox.

Alors que les quelques journalistes souhaitant me parler à nouveau se font plutôt discrets, l’Australien prend les devants et y va de sa série de questions. Il a fait ses recherches. Ses questions sont précises, l’histoire qu’il veut raconter est claire. Et je me prête au jeu. Il me questionne sur mon trouble anxieux diagnostiqué trois ans plus tôt, mais aussi sur les essais olympiques canadiens de 2000 où je n’étais pas parvenu à me qualifier en perdant un bris d’égalité. J’ai envie de répondre aux questions de ce professionnel intéressé par mon histoire. Pendant toute l’entrevue, le petit groupe de journalistes sera à l’écoute de mes réponses, mais Knox posera toutes ses questions sans interruption.

Une fois l’entrevue terminée, même si j’ai bien aimé la discussion, je me demande pourquoi un journaliste du The Sydney Morning Herald était si intéressé par mon modeste exploit sportif. C’est n’est pas comme si l’Australie n’avait une bonne dizaine de nageurs plus performants que moi en action ce soir-là.

J’ai eu la réponse en lisant son article quelques heures plus tard. Il a raconté ma performance en donnant le contexte dans laquelle je l’avais réalisée. C’est ça qui fait une bonne histoire. Vous pouvez lire l’article ici .

Il avait trouvé une bonne histoire et l’avait bien racontée. Au-delà du bel article, qui résume très bien en quelques lignes des moments forts de ma carrière, en tant que journaliste, c’est le contexte dans lequel il a été écrit qui m’impressionne.

J’imaginais qu’on écrivait ce type d’article après avoir discuté longuement au téléphone ou même en personne autour d’un café. Mais j’ai vu que c’était possible d’établir un contact humain menant à la confidence, même dans des conditions moins optimales.

J’ai aussi compris que rien ne remplaçait la recherche et la préparation. Malcom Knox ne pouvait pas savoir que j’allais gagner le 200 m papillon. Si je ne gagnais pas, l’histoire était vraiment moins intéressante. Il est donc probable qu’il ait pensé à plusieurs options, fait des recherches à propos de plusieurs athlètes.

J’ai désiré lui parler plus longtemps que je ne l’aurais fait normalement, car ses questions étaient précises et bien informées. Il a ainsi établi un contact avec moi et obtenu ma confiance.

À une ère où l’on peut facilement valider des informations de bases via internet, ne soyez pas comme ce journaliste qui dans une entrevue a dit à Katerine Savard et moi: « Ah! Vous venez de la même ville. Comme vous avez presque le même âge, vous avez dû vous côtoyer souvent petites. » Katerine Savard et moi, on a presque 10 ans de différence… Et cette information était disponible dans le document de la compétition qu’il avait dans la main. Tout ça pour dire que l’on apprend des bons coups et des erreurs des autres.

J’aime beaucoup relire l’article du journaliste de Sydney. Cet exemple est d’autant plus important pour moi, car mon côté perfectionniste me rend parfois un peu défaitiste : « Ah je n’ai pas assez de temps pour bien le faire », « Lui ou elle peuvent réussir ça, car ils ont ceci et cela, etc. ».

Ce journaliste a osé prendre un sujet différent et un peu marginal. Il n’a pas écrit un texte sur la grande vedette de la compétition, son texte n’est même pas sur un athlète de son pays. Il a écrit de façon à rendre l’histoire d’une inconnue intéressante et émouvante. Il a aussi peut-être fait oeuvre utile, car lors d’une compétition en Australie quelques semaines plus tard, une athlète qui vivait avec l’anxiété a voulu me rencontrer pour me dire que mon histoire l’avait encouragée.

Il n’était pas dans les conditions idéales pour écrire ce type de texte et susciter des confidences, mais il a réussi quand même.

L’impossibilité d’être dans des circonstances optimales ne nous empêche pas d’être créatifs, originaux, performants et travaillants. Oui, certaines conditions rendent la concrétisation de projets ou l’obtention de résultats plus probables, mais en misant sur nos qualités, nos aptitudes et habiletés, le résultat peut nous surprendre!

Et parfois, on réalise que finalement, les meilleures conditions POUR NOUS, CE JOUR-LÀ étaient bel et bien réunies. Il fallait juste saisir l’occasion.

Je me souviens que j’ai déjà gagné une course en me disant exactement la même chose… C’était aux Jeux du Commonwealth en 2014.

 

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