On est Olympien pour toujours

On est Olympien pour toujours

Petite, j’étais fascinée par les Jeux olympiques. Je me souviens des cérémonies d’ouverture des Jeux de Barcelone. J’avais 8 ans, je nageais depuis deux ans déjà et je regardais les meilleurs nageurs et nageuses au monde en essayant de soutirer des trucs, comme de faire 15m sous l’eau après le départ au dos. Lors de Jeux d’Atlanta, j’étais une des plus grandes fans. Je m’intéressais à tous les sports, je connaissais le nom de tous les athlètes canadiens ainsi que les vedettes étrangères. Mon père avait installé une télévision à l’extérieur, donc je pouvais aller faire un saut dans la piscine entre les épreuves. Je ne voulais rien manquer.

À mon entrée au secondaire, je pouvais nommer toutes les villes hôtes des Jeux olympiques de l’ère moderne en ordre. Les jeux d’hiver de Nagano m’ont aussi grandement inspiré. À ce moment-là, mes chronos dans la piscine me permettaient de me projeter aux prochains jeux d’été.

Puis les essais canadiens pour les Jeux de Sydney sont arrivés en juin 2000. J’ai terminé 2e à égalité au 100 mètres papillon, mais puisque seulement deux nageuses pouvaient être sélectionnées, j’ai manqué l’équipe en perdant le bris d’égalité. Mais dans ma tête d’adolescente, ce n’était que partie remise. Mon tour allait venir bientôt.

C’est en regardant les cérémonies d’ouverture des Jeux de Sydney que je l’ai ressentie pour la première fois. Ce goût d’amertume dans ma bouche, cette frustration, ce désenchantement. Mais une fois les compétitions débutées, j’étais toujours une fan de sport. Eh oui, je me suis levée à 5h00 le matin pour regarder certaines finales de natation.

En 2004, aux essais canadiens pour les Jeux d’Athènes, j’ai gagné mes deux courses, le 100 et 200 mètres papillon. Cependant, mes chronos n’étaient pas suffisamment rapides pour répondre aux critères de sélection très relevés qui avaient été mis en vigueur pour ces Jeux. Mon coeur s’est brisé. J’ai pensé alors que peut-être je ne serais jamais olympienne. Mon rêve semblait s’éloigner. Regarder les Jeux à la télé a été pénible. Chaque publicité annonçant les Jeux était un pied de nez à mon rêve. Je me suis désintéressé un peu de ce qui était olympique, car à chaque fois ça me faisait mal. J’ai vécu une peine d’amour.

Même en 2006, pendant les Jeux d’hiver, je ressentais un sentiment d’injustice. Certains athlètes avaient l’avantage de faire des sports avec des critères de sélection moins élevés, pratiqués par moins de gens dans moins de pays. J’ai toutefois utilisé cette frustration de façon constructive. Puisque je croyais que ma place était parmi l’élite sportive, j’allais compétitionner comme une des meilleures nageuses au monde.

La stratégie a payé. Un an avant les Jeux de Beijing, j’étais 4e au monde. Cette fois, les essais canadiens étaient pratiquement une formalité pour moi. J’ai enfin fait ma première équipe olympique.

Avant les Jeux, il y a deux choses que les vétérans et anciens athlètes répètent souvent aux nouveaux venus. La première est que l’on est olympiens que lorsque l’on a compétitionné dans une épreuve aux Olympiques. C’est également sur ce critère que se base le CIO pour déterminer qui est Olympien. La deuxième est que lorsque l’on devient Olympien, on l’est pour toujours.

Mais, malgré deux participations à des Jeux olympiques, ceux de Beijing et ceux de Londres en 2012, je crois que je n’avais pas compris toute la signification de ces deux énoncés avant les Jeux de Sotchi.

Bien sûr, après ma participation aux Jeux de Beijing, j’ai pris conscience qu’être Olympienne était un privilège qui me suivrait toujours, mais je crois que je manquais de recul pour en saisir toute la signification. Enfin, lors des Jeux de Vancouver, je n’avais plus ce goût amer dans la bouche. J’étais heureuse pour les athlètes. Même s’il s’agissait de jeux d’hiver, ces athlètes étaient mes coéquipiers, nous avions des choses en commun. Et puis moi aussi, je me préparais pour des Jeux olympiques. Moi aussi, j’étais athlète.

Il est difficile d’être à la fois fan et de compétitionner. Aux Jeux de Londres, la moitié des épreuves qui m’intéressaient avaient déjà eu lieu lorsque je suis sortie de ma bulle. Lorsque l’on est athlète, on est «backstage». On a accès à tous les rouages du grand spectacle, on en fait même partie, c’est magique, mais une partie du gros «show» nous échappe. On vit les jeux autrement.

La fan en moi a réellement refait surface pendant les Jeux de Sotchi. À la veille de la cérémonie d’ouverture, j’étais au gym quand un des préparateurs physiques m’a demandé ce que ça faisait de regarder les Jeux olympiques avec des yeux d’Olympiens. J’ai répondu que la principale différence est que moi, lorsque les athlètes sont sur le point de s’élancer pour leur performance, je comprends mieux ce qu’ils peuvent ressentir. Je les envie de vivre leur grand moment, tout en  sachant combien cela est difficile. Et c’est là que j’ai compris la signification de la phrase: on est Olympiens lorsque l’on a compétitionné à des Jeux olympiques.

Pour moi, le fait de connaître l’envers du décor n’a pas diminué ma capacité d’émerveillement. Réaliser mon rêve olympique a fait renaître la magie. Je ne peux peut-être plus nommer toutes les villes hôtes des Jeux olympiques, mais ces deux dernières semaines, j’ai retrouvé la fan que j’étais à l’âge de 12 ans. Je laissais refroidir mon souper pour regarder la rediffusion des compétitions que j’avais manquées. Chaque minute libre était consacrée à me renseigner sur les plus récents résultats.

Lors des cérémonies de fermeture, la fan en moi était déçue que ce soit déjà terminé. Mais c’est en regardant les athlètes envahir le stade, comme moi 18 mois plus tôt, que j’ai réalisé que même aux Jeux olympiques dans 20 ans, les athlètes qui entreraient dans le stade seraient mes coéquipiers. Que même lorsque je ne m’entraînerai plus et que mes maillots auront séché depuis longtemps, j’aurais toujours le sentiment d’appartenir à ce groupe d’individus. C’est à ce moment que j’ai compris la signification de l’expression: on est Olympien pour toujours.

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